Heimrast : Background

Je transfère ce texte tel qu'il était au départ, y compris la petite note qui allait avec à l'endroit où je l'avais posté à l'origine. L'ensemble date de janvier 2006. Etant plus un exercice littéraire qu'un véritable background RP, dans le sens où il ne retrace qu'un court épisode de la vie du personnage, je le poste dans le Recueil. Le style en est un peu étrange, mais je veux conserver le texte tel quel, dans l'état d'esprit finalement assez sombre où j'étais au moment de sa rédaction.

Le texte est en quatre parties, et n'est pas tellement long. En bonus, une map pour resituer l'action. Bonne lecture à ceux qui liront


Heimrast - Notes

Heimrast est un personnage évoluant dans le jeu de rôle online World of Warcraft, sur le serveur JdR-JcJ francophone "Le Conseil des Ombres", côté Alliance.

Etant assez occupé ces temps-ci, je n’ai guère le temps de le jouer – mais j’aime bien le personnage en lui-même, et, dans l’éventualité où je serais forcé d’arrêter le jeu, je voulais fixer son background RP quelque part. Il est assez sombre, et je m'en excuse - mais j'avais envie d'envelopper le vieillard (oui, Heim est vieux) d'un brin de darkattitude, puisque c'est à la mode ces temps-ci. Quant aux raisons qui m’ont poussé à l’écrire de cette façon, je les garde pour moi ^^

***

World of Warcraft, Lordaeron, les Pins Argentés, le Lac Lordamere, Arathi, les Hautes Terres d’Arathi, Hillsbrad, Southshore, Terenas, en tant que noms de l'univers WoW, sont ©Blizzard Entertainment. Vous pouvez vous renseigner sur WoW à cette adresse, quand la page n’est pas down – oui, ils ont des serveurs en carton

Joseph Scrapankles est ©Christain d’Antignac, a.k.a Cœur de Vent, Chrisae Asher’Falas, "Chris".

Heimrast - 1


Mon histoire avec Iranna était une histoire simple. La même histoire que vivaient tous les gosses normalement fichus de Lordaeron. Tous les morveux de l’orphelinat avaient une petite amie, et je ne dérogeais pas à la règle ; j’avais dix-sept ans, et elle, seize. Elle avait de longs cheveux noirs et des yeux en amande, tout verts, et quand elle riait, on aurait dit le clapotis du lac Lordamere, la nuit, sous la lune pleine.

Se détachant des parois devenues friables, des pans de murs entiers chutaient dans la fange noirâtre ; entre les vacillements de la dernière torche plantée là, les ombres défilaient, folles, aveugles et colériques. Leurs crocs et leurs griffes luisaient d’une haine claire et acérée ; la peur ruisselait de nos fronts, suintait dans nos cous et le long de nos échines.

Les pétales rouges tombaient un à un. Ils tournoyaient doucement, jouant délicatement avec l’air du printemps ; ils roulaient entre les longs brins de blé vert qui, légèrement, se courbaient sous leur poids, et ils disparaissaient sur la terre noire et chaude.

Soudain, contre toute attente, la terreur abjecte qui me tordait le ventre desserra sa poigne, me lâchant au-dessus d’un gouffre de renoncement béat dans lequel je m’enfonçai sans plus penser à mes compagnons. Engoncé dans un nuage d'éther, je vis Thomas, gesticulant.

Je lui avais dit de ne pas abîmer les roses, car c’étaient de belles fleurs qu’on ne trouvait pas partout ; à la vérité, je les avais payées fort cher, avec l’argent que j’avais fauché, le matin, au marché. Elle m’avait répondu que demain, ces roses seraient fanées, leur magie tarie ; alors, plutôt que de bêtement les sentir pendant des heures comme font les adultes, il serait plus sage d’en faire quelque chose d’amusant avant qu’elles ne s’enlaidissent.

« Par Uther ! » hurla-t-il, et sa voix fit dans mon esprit l’effet d’un cor embrumé. « Protégez le chargement ! »

Je me dis à ce moment-là que c’était la dernière fois que je lui offrais des fleurs, et, écoutant à moitié ses raisonnements, me contentai d’hocher la tête. Le soleil brillait entre les feuilles, les nuages allaient paisiblement, et Lordaeron, dont les remparts blancs illuminaient la plaine, était belle.

Alors, doucement, avec un sourire silencieux, mon regard se posa sur le corps de mon maître et ami, dont la nuque déchirée s’enfonçait peu à peu dans la terre humide ; je vis que sa petite main serrait encore, dans un réflexe navrant, une grosse pépite d’or couverte de sang.

Je demeurai, béat et contemplatif, au creux de mon oreiller d'herbe ; et elle de demeurer avec moi, comme toujours souriante, et son sourire était de nacre. Le chant des mouettes aidant, nous nous reposions, ses petits doigts posés sur mes lèvres.

Enfin j’entendis, sans y prêter tellement attention, Thomas pousser un grand cri, et le bruit de quelque chose qui s’affaisse dans l’eau ; ne désirant pas troubler ce moment de paix par une énième gerbe de sang, je ne levai pas la tête. Car j’allais mourir, et ce serait bien la première fois.

Heimrast - 2


« Qu’est-ce que tu vas faire cet été, Heim ? » dit-elle.

« Je ne sais pas », répondis-je, suivant des yeux le trajet d’une mouette qui s’en retournait vers les Pins Argentés. « Je pense aller en Arathi avec maître Scrapankles. »

« Pour faire quoi ? »

« Pour miner. De l’or. »

« Tu m’en ramèneras ? J’en ai jamais vu. »

Je n’avais pas compris ce qu’il y avait de tellement extraordinaire avec cet or. Bien sûr, il était précieux, c’était de l’or – mais pas plus que les autres ors. Mon maître, le Gnome Joseph Scrapankles, avait perdu le goût de l’or il y avait fort longtemps ; il minait pour le plaisir, pour la paix de l’obscurité, pour la fatigue délicieuse du travail éreintant. Aussi loin que ma mémoire remontât, je le vois dans mes souvenirs. Un Gnome aux manières raffinées et au sourire rêveur ; il était secret des choses de son passé, mais j’ai toujours pensé qu’il était de quelque noble lignée de Gnomeregan. Il ne connaissait pas les choses de l’ingénierie ou de la ferronnerie ; il ne fabriquait pas de pantins en métal ou d’oiseaux mécaniques comme ses compagnons. Non, lui, il minait du métal, parce qu’il aimait le choc de sa pioche sur la pierre, les bris de roche roulant sous ses bottes. Il disait que la roche était « vraie », je n’ai jamais bien su.

« Si tu veux. Je t’en ramènerai. »

Car c'était tout de même un bel or. J'en avais vu pas mal durant ma vie ; mais celui-ci était le plus pur, le plus dense, le plus lourd. Un bel or, sombre et fascinant. Un bel or, qui avait coûté les vies de trois hommes et d'un Gnome.

« Pourquoi tu vas toujours miner avec ce Gnome ? Il est si vieux ! »

Je pouvais voir leur silhouette frôlant les parois noires de la caverne ; leur démarche était horriblement lente, leurs membres disloqués se mouvant par je ne savais – et maintenant encore, ne sais – quelle force impie. C’étaient des créatures impossibles, des souvenirs déjà passés, déjà morts et oubliés ; leur tête tournait sur leur cou comme si leur nuque étaient brisée, et quelque distorsion absurde à laquelle leur regard se prêtât, je me sentais toujours observé, jaugé, détaillé. Mais... était-ce vraiment moi qu'elles regardaient ?

« Il m’apprend beaucoup de choses, tu sais. Tiens, il m’a appris à lire et à écrire. Tu veux voir ? »

Je tirai de mon sac un calepin de cuir couvert de gribouillis charbonneux. Curieuse, elle le prit sur ses genoux et l'ouvrit ; l'espace d'un instant, le reflet blanc du papier illumina ses yeux, et l'indicible ouvrit ses ailes parfumées, m'enivrant de béatitude. Elle repoussa une mèche de ses cheveux, et je souris de toutes mes dents, que j'avais fort sales.

Leurs cheveux étaient longs et fins, et leurs yeux de cauchemar brillaient d’une flamme infernale ; ils étaient d’une horreur sublime, et, surgissant de l’abîme de mon calme imbécile, une irrésistible curiosité s’empara de moi. M’extirpant de la terreur abasourdie dans laquelle j’avais sombré, je repris le contrôle de ma pensée, et, désespéré, m’approchai pour mieux voir.

Hemrrast

Comme l'on marche dans un rêve, je fis quelques pas dans la boue. Leur regard était absent, comme perdu dans la contemplation d'un lointain horizon. J'eus l'impression qu'elles voyaient au-travers moi, en moi et derrière moi ; car si elles me voyaient, elles ne me regardaient pas. Leurs sourires - en étaient-ce ? - grimaçaient jusque sur les côtés de leur tête, et de leurs orbites pendaient, dans une lueur étrange, de petits lambeaux de chair noire. L'esprit éteint, fasciné, je m'approchai encore.

« Mais qu'est-ce que tu fais ? » siffla Joseph. « Ca ne s'écrit pas comme ça ! Il y a un "i" ici. Sinon, on lirait "Hemrast", pas "Heimrast". Tu sens la différence ? Regarde, c'est pourtant facile. »

« Ou allons-nous la prochaine fois, maître Scrapankles ? » fis-je.

« A Stromgarde », répondit-il, et dans ses yeux d'une sagesse centenaire, aperçus-je un éclat qui m’était inconnu.

Heimrast - 3


Mon maître avait embauché des mineurs à Southshore. Des hommes grands et silencieux ; ils sentaient très fort, et leurs vêtements sales claquaient aux bourrasques du chemin. Ils étaient trois.

Je mis une poignée de pétales rouges dans mon journal ; j'en pressai fortement la couverture pour les aplatir, afin qu’ils sèchent de jolie façon. Sitôt parti, je me trouvai fort impatient de rentrer à Lordaeron.

Très vite, des tensions apparurent entre Kern et Azrail. L’un parlait des mœurs malhonnêtes des gens de Hillsbrad, et l’autre de la légendaire couardise des gens de Southshore.

Car avec cet or, je pourrai lui acheter d’autres roses. Je savais qu’elle en arracherait les pétales, mais je m’en moquais.

Azrail mangeait beaucoup. La troisième nuit, il accusa Kern de lui avoir dérobé du pain. Thomas demeura silencieux.

Nous marchâmes des jours. Le ciel se fit lointain, et l’astre du jour secret ; petit à petit, nous nous évanouîmes dans un silence froid. Chaque midi, chaque soir de ce voyage, je guettai en vain un signe d’amitié du maître Scrapankles ; mais le spectre de l'inquiétude obscurcissait son regard, et son visage prenait peu à peu la pâleur du marbre. A la seconde veillée de notre périple je lui demandai, téméraire, pourquoi avoir soudain repris goût à l’or ? Pourquoi, tout à coup, retourner auprès de l’avarice que vous m’avez appris à refuser ?

Mais quelque chose était arrivé. Le bac était tombé, et en tombant, il s’était brisé ; nous étions prisonniers au fond de la mine, avec notre or. Bientôt, comme nous essayions de réparer, les vivres vinrent à manquer.

« Il ne t’appartient pas de connaître ce que je pense, jeune Heimrast », m’avait-il rétorqué sans émotion.

Azrail disait que nous avions été enterrés vivants et que nous allions mourir d’étouffement et de faim.

Nous montâmes le bac en silence. Thomas et Azrail cerclèrent le bois d’acier, et je constatai, satisfait, qu’ils avaient grande connaissance de la manière de procéder ; même si mon maître était froid comme le métal de ses outils, j’avais confiance en une belle réussite.

Un jour – ou était-ce une nuit ? – maître Joseph et moi fûmes éveillés par de grands cris. Thomas était en train de frapper Azrail avec sa pioche. Quand enfin il s’arrêta, nous vîmes, horrifiés, le corps de Kern.


Mais j’avais tort.


Tout son cou avait été arraché.

Heimrast - 4


Tout est si clair, à présent.

Et alors que je m’approchais d’eux pour mieux les voir, le temps s’arrêta. Les pans de roche qui tombaient autour de moi ralentirent leur chute, et m'apparurent, incrustées dans chacun d’entre eux, les myriades de pépites d’or qui avaient si longtemps brillé dans les yeux de mon maître ; le sol se déroba sous mes bottes remplies d’eau et, dans un réflexe, je lançai mes mains en avant.

Cet or n'était pas de l'or ordinaire.

Alors que j’étais suspendu dans la lenteur éternelle de mon dernier instant, l’une des silhouettes s’avança au milieu des pétales de rose qui, partout, tournoyaient ; on eût dit une nuée de papillons écarlates. Je vis ses bras décharnés, ses griffes ensanglantées, ses longues jambes nues, putréfiées ; elle était morte, et je pensai qu'après tout, cela n'était rien que de très normal.

Car ce n'était pas la richesse que mon maître cherchait. Il y avait autre chose. J'aurais dû le savoir : depuis toujours, le vieux Scrapankles s'était bien moqué de ces choses-là.

La voûte de la caverne se déchira avec fracas, et un puissant rai de lumière éclaira le buste de la créature ; dans l’intense éclat blanc je crus distinguer une jeune femme, mais elle n’avait plus de visage. Affectueusement, elle s’agenouilla vers moi, et les immenses ailes aux plumes noires, de son dos, se déployèrent. Aveuglé, fasciné, je tentai de saisir la main tendue ; c'était une fine, charmante main d'albâtre.

Trente ans après, je cherche encore les raisons de notre expédition.

« Ne sois pas triste », dit Iranna, alors que je chargeai le rouleau de corde sur le chariot, au milieu des pelles et des pioches.
« Lorsque tu reviendras, avec l’automne, je serai toujours là. »

Cet or était maculé de sang avant même que nous venions mourir dessus.

« Je ne suis pas triste. »

Enfin, je me réveillai seul dans ce qui m'apparut, et m'apparaît encore dans ma mémoire, comme un caveau de pierre. Immobile et glacée, pleuvant sur mon visage, la colonne lumineuse était toujours là ; le corps brisé, le goût du sang dans la bouche et sur les lèvres, je demeurai étendu dans la rocaille trempée, ne pouvant détacher mon regard de l’ouverture percée dans la voûte. J’en conçus une grande fascination pour cette présence qui venait de m’accorder une seconde chance, alors que l'ange même de la Fin était venu me quérir.

J'ai mené ma vie dans le recueillement et la prière. J'ai appris la voie des suivants de la Lumière, et je ne suis plus jamais retourné dans une mine. Je n'ai pas, non plus, connu d'autre femme.

Lorsque je fus hors de la caverne, trouvant le vent d'Arathi balayant mes cheveux et mon visage, je réalisai que j'avais laissé quelque chose derrière moi - quelque chose que je n'aurais pas pu, ni jamais ne pourrai, retrouver ; quelque chose qui était perdu pour toujours, enseveli sous les pépites dorées et les feuilles écarlates.

Je ne suis jamais retourné à Lordaeron. On m'a dit qu'une peste foudroyante l'avait emportée, que Terenas avait trépassé, et que les beaux jours étaient oubliés. Une seule chose restait au fond de moi, une chose immuable, éternelle, telle une figure d'argent.

C'était le visage d'Iranna.

C'était le visage d'Iranna.



FIN