[Deuxième partie]
Pour trouver des mercenaires qui ne posent pas trop de questions, il faut aller au District Montmartre, dans un bar miteux appelé "Moulin Rouge". Une demie-heure de métro pour y aller. J'aurais mieux fait de pas me lever ce matin, mais au moins, là-bas, je pourrai boire le café que j'ai du jeter ce matin.
Je m'assois sur un fauteuil de cuir bleu tout troué, en face d'un gamin tout blond. Je fais mine de l'ignorer, mais je remarque que lui a les yeux braqués sur moi. Au bout d'un moment, il s'approche doucement de moi et me tapotte le genou. "Hey madame, pourquoi tu portes toujours des lunettes de soleil alors qu'y a pas de soleil? Hein?"
Ses yeux pétillent de curiosité et l'espace d'un instant, il me rappelle pourquoi j'ai choisi ce boulot, au début. Je me penche vers lui, et abaisse légèrement mes lunettes, de façon à ce que mes yeux soient au niveau des siens, mais que seul lui puisse les voir. Il les regarde un instant, puis ouvre de grands yeux ronds et se jette sur dans le fond de son siège: "Waaaaaaaaaah !" Je ne peux m'empêcher de sourire en voyant sa mine ébahie. Sa mère, voyant la scène, attrape son fils par le bras et l'entraîne vers une rangée de siège à l'oposée du wagon. "Laisse la dame tranquille". Connasse, comme si j'allais l'égorger avec ma paire de lunettes. On en est arrivé à un tel degré de paranoïa collective que ça en devient risible.
En détournant le regard, je remarque une publicité pour une agence de voyage. La photo montre une petite colline verdoyante surmontée par un arbre unique. L'affiche à quelque chose de reposant, de serein. La phrase d'accroche au-dessous dit: " Un ailleurs dont vous avez toujours rêvé est à votre portée."
Moi ce n'est pas d'un ailleurs dont je rêve, c'est d'un autrefois...
Au bout d'une demie-heure, je descends enfin du métro, et je sors à l'air libre. Devant moi, une rue sale, grise, où quelques carcasses de voitures trainent ci et là. Des prostituées, des dealer de drogues, des vendeurs d'armes. Rien d'extraordinaire. Au fond de l'avenue, un grand bâtiment décomposé sur lequel traînent les restes d'une ancienne enseigne en grosses lettres qui devaient autrefois s'allumer.
Je traverse la rue en ignorant soigneusement tous les junky qui essaient de me revendre de la drogue ou qui tentent de m'intimider avec leurs armes.
Je rentre dans le bâtiment sans faire attention aux deux molosses à l'entrée, et je me dirige directement vers le bar, où je m'assois.
"-Un café et trois mercenaires s'il vous plait.
-On a rien de tout ça ici. Répond le barman froidement, en me fixant.
Je me penche sur le comptoir, et abaisse mes lunettes. En voyant mes yeux, il a un mouvement de recul et semble un léger instant complètement paniqué.
-Ah heu.... Un café donc.
-Oui, et trois mercenaires.
-Bougez pas, Inspecteur.
Il se tourne vers la machine à café crasseuse et me prépare un expresso.
-Sucre? Lait?
-Un sucre.
-Bien bien !
Il me tend une grande tasse fumante, un sourire un peu géné sur les lèvres. Puis se tourne vers sa gauche et fait mine à quelqu'un de venir. Un homme se lève du fond de la salle, et s'approche du comptoir. Il est petit, maigre, chauve, et paraît de mauvaise humeur.
-C'est qui, elle? Demande-t-il au barman en me désignant du menton. Elle veut quoi?
-Trois mercenaires, et assez vite, je suis pressée.
-On a pas ça ici! Dégage!
Le barman semble maintenant complètement affolé. Avant que je puisse dire quoi que ce soit, il prend l'homme par le col et l'attire vers lui.
-Abruti, t'as pas compris encore? C'est l'Inspecteur Colt! Pauvre buse!
-Oh meeeeeeerde!
Il se dégage violemment et me regarde fixement, l'air géné.
-Désolé inspecteur, je vous avais pas reconnu.
-Hm. Bon, ces mercenaires?
-Patientez là une petite heure, je reviens avec ce qu'il vous faut. Vous aurez les meilleurs.
-Ok."
Les deux hommes se détournent de moi, l'un part vers la sortie, l'autre au fond de la salle. Je peux boire mon café tranquille, et j'ai même pas eu besoin de tuer qui que se soit. Pas si mauvaise cette journée, finalement.
En face de moi, un ficus. Quand je l'ai récupéré, en dehors de la ville, il était sur le point de mourir. Il n'avait plus de branche, juste un tronc rachitique. Je l'aurais laissé sur place, si je n'avais pas remarqué un tout petit bourgeon poindre en haut du tronc. Alors je l'ai enlevé de la terre, et je l'ai pris dans mes bras, comme un enfant qu'on berce. Je l'ai ramené chez moi, et chaque jour je m'en suis occupée. Je l'ai regardé grandir, et devenir plus beau de jour en jour. Maintenant il est là, fier, son feuillage est si vert que dès qu'on le regarde, on se sent bien.
"-Mets lui un peu d'engrais, je pense qu'il en a besoin.
-Non, je n'aime pas ces engrais. Il est dit qu'ils ne polluent pas la terre, mais je trouve qu'ils ont une odeur bizarre. Je vais le mettre à côté de la fenêtre, il sera mieux.
-Comme tu voudras, j'ai confiance."
Un rayon de soleil, sans doute le premier du printemps, vient se perdre dans ses feuilles. Je lève la tête. Les nuages s'écartent petit à petit pour laisser place au soleil qui illumine peu à peu toute la pièce, et mon visage. Je ferme les yeux. Le premier soleil de printemps est toujous plus agréable, parce que c'est le premier. Ensuite, il est là tous les jours, et on y fait plus attention.
La porte-fenêtre s'ouvre, et un air doux rentre. Tout est parfait.
"Hey Inspecteur. Inspecteur?
Tout me revient d'un coup. La pluie, le district 26 quart, le Moulin Rouge, les mercenaires. Je réajuste mes lunettes et fini mon café d'une traite. Il est froid à présent.
-Vous les avez?
-Ouais! Les trois!
-Ils savent faire quoi?
-Alors, y a un poseur de mine, une espèce de molosse à moitié en fer, blindé de grenades, pis un qui parle pas et qui tient un grand fusil.
-Ca m'va. Où sont-ils?
-Dehors. Le patron aime pas laisser les types dans leur genre rentrer, c'est un établissement convenable ici, qu'il dit.
-Hm... Merci.
-Bah d'rien Inspecteur! A votre service!"
Alors que je me lève doucement, car la tête me tourne, le téléphone portable que l'on m'a remis tout à l'heure sonne. La sonnerie est stridente. Comment peut-on se ballader avec ça sur soit toute la journée? C'est à devenir fou. C'est d'ailleurs peut-être pour ça que l'homme a perdu la raison.
"Colt.... Oui.... Bien... Bien.... 9h30.... Bien. Aurevoir."
Je range le téléphone et me dirige vers la sortie. Les deux molosses ont laissé place à trois hommes à l'allure nonchalante. Celui du milieu est particulièrement impressionnant.
"Salut les gars. J'irai droit au but. Demain, 9h30 à l'aéroport militaire du district 35D. Vous toucherez six mille chacun, si le type que l'on escorte ressort vivant.
Si vous êtes en retard, on part sans vous. Durant toute la mission, vous serez sous mes ordres. Le premier qui fait un pas de travers prend une balle entre les deux yeux. A demain."
Sans leur laisser le temps de répondre, je les contourne et repars en direction du métro. Il ne pleut plus maintenant, mais le ciel reste gris. Des avions militaires passent dans le ciel. Depuis le début de la guerre avec l'Angleterre, ces avions qui partent au combat sont notre quotidien. Parfois je me dis que je serais plus utile là-bas, mais tuer pour une cause donc je ne connais aucun détail, c'est stupide. S'il faut, c'est nous les méchants.
J'ai trop pris le métro aujourd'hui, je vais rentrer à pied. Le boss va encore me hurler dessus parce que j'ai été longue, mais au fond je sais qu'il fait ça parce qu'il m'aime bien. "Vous êtes notre meilleur élément, mais j'aimerais un peu plus de rigueur" me répètera-t-il sans doute encore une fois. Oui je suis le meilleur élément depuis quatre ans, mais je n'aurais jamais du être promue inspecteur. J'aurais du être démise de mes fonctions, mais ils savaient qu'après ça je deviendrai comme je suis maintenant, ils attendaient juste le déclencheur qui ferait de moi la machine que je suis aujourd'hui.
"-Pourquoi tu veux entrer dans la police?
-Parce que je veux aider les gens, je sens que je suis faite pour ça.
-C'est un métier dangereux.
-Oui je sais, mais je ferai attention.
-Tu ne fais jamais attention à rien, mais moi je serai là pour te protéger.
-Tu seras là?
-Oui, si tu entres dans la police, j'y entre aussi. Comme ça nous serons tout le temps ensemble, et nous nous protègerons mutuellement."
Après une heure et demie de marche dans le brouillard, me voici de retour au bureau. A peine arrivée, j'ai droit à l'éternel "COLT ! DANS MON BUREAU !". Oui chef, le temps d'enlever mon manteau:
"-Vous en avez mis du temps.
-Désolée. J'ai du chercher des mercenaires.
-Des mercenaires? Juste pour escorter un type?
-Ce sont les ordres.
-Quand partez-vous?
-Demain matin à 9h30, de l'aéroport militaire du district 35D.
-Hey ben.... C'est du sérieux on dirait.
-On dirait.
-Prenez votre après-midi, vous devez être en forme pour demain. Si ces mecs veulent aussi des mercenaires, c'est que cette escorte ne doit pas être aussi simple.
-En même temps, dans la zone 11, je ne vois pas comment ça pourrait être simple. Merci pour l'aprem, boss.
-Bonne chance.
-On lui dira."